Article - Mohamed Ben Meftah, Amel Bouslama - Jamila Achour Gallery

Article – Mohamed Ben Meftah, Amel Bouslama

Les qualités plastiques et esthétiques de luvre de cet artiste graveur, aussi peintre et dessinateur, le placent à la tête des artistes graveurs arabes vivants. Malgré ce fait, cette uvre est plus connue dans le reste du monde arabe que dans son propre pays, la Tunisie.
La galerie dart Le Violon Bleu à Sidi Bou Saïd vient de lui faire honneur en exposant ses oeuvres et ce, depuis le début du mois de décembre jusquau 08 février 2017.
Deux périodes du parcours artistique de plus de cinquante ans de carrière de Ben Meftah se partagent les cimaises. Dun côté, nous pouvons admirer une quinzaine dépreuves originales de gravure en grand et moyen format des années 70, 80 et 2000.
De l’autre côté, côtoyant les uvres des célèbres artistes, le Marocain Farid Belkahia et lAlgérienne Baya, des petits formats de dix-sept dessins au feutre colorés produits pendant le début des années 2000 jusquà 2013 occupent les cimaises.
Chez Mohamed Ben Meftah, deux techniques, deux démarches et deux thématiques très différents, présentent les deux faces inséparables de la même œuvre.
La ligne comme sujet
Manière noire, eau-forte, aquatinte, pointe sèche, sont les procédés de gravure utilisées dans les présentes œuvres. Leur support est la h a,7,,,,,7,,,,,,plaque de cuivre sur laquelle Ben Meftah, au moyen des outils : berceau, brunissoir, grattoir, roulette à grain, pointe de diamant, agit en incisant et en traitant le métal. Ensuite, lartiste passe sur la plaque le vernis ou la résine puis lacide qui creuse les parties laissées nues du cuivre. Une fois la matrice de luvre ainsi obtenue, lalchimiste Ben Meftah encre la plaque. Il termine lopération en imprimant lépreuve sur un papier dessin de fabrication artisanale, à laide dune presse manuelle spécialement faite pour cet usage. Ce travail patient, minutieux, risqué, exigeant plusieurs étapes, loin de décourager notre artiste, le lance sur le chemin du défi.
Nourri des maîtres du clair-obscur tel Rembrandt, à lépoque de son apprentissage dans les Ateliers de lEcole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris vers la fin des années 70, notre artiste déploie un savoir-faire à nous couper le souffle. Aussi, crée-t-il alors des natures mortes métaphoriques, où, seules les valeurs du blanc, du noir et de tous les dégradés de gris fusent devant notre regard sidéré, afin de sortir les formes des ténèbres.
Un travail de joaillier qui progresse sur la plaque à graver par centimètre carré, parfois durant une période atteignant trois mois, afin de finir une plaque travaillée à la manière noire, à raison de cinq heures par jour !
Le même travail subtil et précis pour créer ombre et lumière se laisse deviner sur les autres compositions à laspect onirique et sensuel, d«Apocalypse», d«Hallucinations», de «Catapulte», de «Grand nuage », d«Escalade», de « Maternité » et autres. Certes, les thèmes sont classiques et universels, mais leur concrétisation se fait admirer dans des compositions complexes où une ligne souple et voyageuse fait naître des formes humaines enchevêtrées et fictives, déjouant toute pesanteur. Dun côté, la technique de la manière noire par exemple, qui est exécutée sous forme de lignes -se superposant perpendiculairement quarante fois pour faire ressortir les volumes- est ardue. Dun autre côté, les formes naissantes travaillées avec dautres techniques de gravure sont onduleuses, visqueuses et flottantes et nous inspirent liberté et imagination débordante.
« Lignes désirantes » de Mohamed Ben Meftah, qualifiées ainsi par la critique dart et la commissaire de cette exposition Rachida Triki dans son texte de présentation, parce quà notre avis, ces lignes découlent de lélan fougueux, tout humain et naturel du subconscient de leur auteur.
En loccurrence, le sujet principal nest pas dans le thème traité, mais cest bien la ligne qui oriente et structure la composition entière. Aussi, cette ligne, en tant que méthode de faire artistique, se lance-t-elle à travers les méandres de lespace-temps de luvre dans un désir de fusionner, de se libérer, de saccomplir, datteindre les hauts nuages ! En fait, cet artiste sest toujours placé au-dessus de la médiocrité, des petits calculs et du recours aux chemins tortueux. Dans un objectif ainsi de surpassement, Ben Meftah a choisi la difficulté.
Une musicalité méditerranéenne
Une nouvelle étape, un nouveau jalon souvre avec une série de plus dune quinzaine de dessins au feutre sur papier de petit format. Ces dessins peuvent être considérés plutôt comme une recherche préparatoire à un nouveau défi, qui sexprimera cette fois dans un langage purement pictural.
La ligne serpentine des gravures dautrefois perd de son ondulation et se fait droite. Ou bien rectiligne, hachurée, verticale, horizontale ou oblique, quelques fois courbe. Ainsi, cette ligne construit la composition, non sans une pointe dhumour, mêlée à une ambiance joyeuse, dans laquelle lironie et même le sarcasme -selon le propos de lartiste- trouvent une petite place. Dans ce défilé de titres : «Tête dune princesse», «Couple oriental», «Mariage mixte», «Foule rouge», «Oiseaux du paradis», «Shahrazade», «Château suspendu», «Dégustation», « Totem du bonheur » le chaud du jaune, du rouge, de lorangé et le froid du vert, du violet, du bleu mis en confrontation sexaltent ! Présences fulgurantes de couleurs primaires et secondaires, sétalant avec vivacité dans le petit rectangle du papier et le faisant éclater sur de plus grandes dimensions.
Le plaisir du faire plastique de lartiste se déploie à travers la ligne qui construit librement de manière stylisée la scène du couple, de la famille ou autre. Larrière-plan de la composition rappelant les revêtements en céramique, est fait de symboles et de signes du patrimoine arabo-berbère. De manière ludique, le carreau, le triangle, le losange, le poisson, la flèche, le croissant -auquel Mohamed Ben Meftah ajoute une flèche- se multiplient gaiement en occupant la totalité de lespace.
Tout simbrique harmonieusement et le dessin se transforme en un tapis volant qui se tisse de lignes croisées et colorées, nous emportant, parfois, au pays du rêve dune enfance enfouie en chacun de nous.
Dans ces dessins au feutre à travers lesquels retentit une musicalité méditerranéenne, nous apprécions différemment le travail artistique de Mohamed Ben Meftah. Ce dernier, nous fait goûter avec douceur et innocence les joies simples dun univers irradié de lumière ! Voilà ce que nous révèle lautre face de l’oeuvre, de ce grand artiste d’une rare discrétion et dune rare humilité
Tunis 09.01.2017
Amel Bo, photographe, plasticienne et performeuse
*Article publié dans le journal Etat durgence n°4. Tunis, Janvier 2017.

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